L’Histoire intime d’Elephant Man

© Nicolas Joubard

© Nicolas Joubard

Théâtre en solo écrit, conçu et interprété par Fantazio, à la maison des métallos.

En entrant dans la salle de spectacle transformée en café et encadrée de néons rouges, vous êtes invités à vous présenter au bar où vous est offert un cocktail avec ou sans alcool, avant de prendre place à l’une des tables. L’atmosphère est détendue et conviviale. Vous sirotez tranquillement quand Fantazio s’installe à sa table de travail à la manière d’un conférencier, ses notes sous le bras, bouteille d’eau à la main, micro sur table dans lequel il jette parfois un mot comme on le stabilote, ou comme on l’écrit en gras pour capter le regard.

Fantazio fait ses gammes entre les hauts sommets et les abysses comme une couturière s’attaque aux surpiqûres avec ses marche-avant marche-arrière. Il lance raisonnements et démonstrations le plus sérieusement du monde, non pas ex-catedra mais comme s’il se parlait à lui-même dans une sorte de rumination. Il digresse et se suspend dans les airs, parfois il redescend. C’est une soirée de montagnes russes, de pince sans rire, de polyglotte – entre italien et anglais – de lisse et de granuleux qu’il dessine en arabesques partant de la caverne, celle de l’enfance à mots couverts ou celle d’Ali Baba, voleur d’instants. De sa baignoire d’enfant-roi il éclabousse et se donne tous les pouvoirs, coincé dans sa bouée canard ; ou comme un sous-préfet aux champs qui inaugure la salle des fêtes, content de lui il recense ses bonnes actions et liste sa programmation ; ou encore du plus profond de ses illuminations, plonge au cœur de ses labyrinthes.

Dans les plis du réel Fantazio trace son histoire avec fantaisie, pointillés et déliés. Sans boussole, il saucissonne le temps au double décimètre, quadrille les conjugaisons et défait les chronologies de l’histoire. Il montre du doigt le formatage des villes, en invente de nouvelles qu’il transforme en appartements, à coups de baguette magique. Ainsi Montparnasse devient un long corridor qui relie le nord avec le sud. Fantazio musarde, s’éparpille avec détermination et s’émiette avec conviction, ébréchant les certitudes comme les tasses et vérines qu’il décrit et qui font fonction de cadran solaire.

L’absurde est au rendez-vous comme le monde à l’heure de l’amour numérique et du regard des autres, déjanté. Il donne un cours sur l’art de la conversation ou plutôt l’art de s’immiscer dans la conversation, surtout si l’on n’a rien à dire. Il compose une symphonie pour grincements de table et vocal, car de sa table il se lève pour mieux expliciter et démontrer, tourne autour, approche le public, se plante au sol puis se relève faisant le constat einsteinien on the beach que la tête est l’organe le plus éloigné du sol. Tout corps plongé dans un liquide…. souvenirs et réminiscences.

Auteur-compositeur-interprète-performeur et comédien, Fantazio a posé la contrebasse qui d’ordinaire l’accompagne et après l’extra-ordinaire des notes tombe dans l’onirisme du langage. Du à au sur il glisse sur les mots et parfois s’étale, surtout s’il met dans ses rouages de l’huile d’olive ou de l’eau de mer et se déploie à la manière d’une anémone sous-marine. Comme Pérec, un p’tit vélo à guidon chromé lui trotte dans la tête ou comme les oulipistes, il se joue des mots et tournicote le langage, lance son zéro dans l’infini et menace de confisquer les consonnes. Il est l’inventeur d’un banquet de quinze jours qui faute de moyens s’espace au fil du temps et, tel un vaisseau-fantôme, finit par se tenir tous les cent cinquante ou trois mille cinq-cents ans. Dos au public, face au micro sur pied posé dans un coin du plateau, par deux fois, il apparaît dans la peau d’Elephant Man, dans ses ténèbres et dans sa différence.

Fantasio amuse, trouble, s’ancre et se balance, découpe et froisse, entre le lourd wagon du passé, l’angle aigu du présent et un futur qui n’a pas de figure. Il sort par la salle au son des flonflons et rejoint le genre humain, pour le meilleur et pour le pire. Souhaitons-lui le meilleur, avec ces représentations.

Brigitte Rémer, 14 juillet 2016

Collaboration artistique Pierre Meunier – mise en lumière Hervé Frichet – rapport sonore Emile Martin – production : théâtre L’Aire Libre, festival Mythos/CPPC, Rennes, la Triperie, Montreuil.

Du 12 au 16 juillet 2016, à 19h – la maison des métallos – 94 rue Jean-Pierre Timbaud. 75011– Métro : Goncourt. Tél. : 01 47 00 25 20 – Site : maisondesmetallos.org